Les frères Marseille

Quand le meunier de Lapalud devint champion de Lutte Gréco-Romaine :

De nos jours, les activités sportives ne manquent pas Football, Tennis, Judo, Cyclisme, Natation, Boxe Française… et les jeunes ont l’embarras du choix pour satisfaire leurs goûts personnels ou leurs dispositions naturelles. Par contre, nos grands-pères étaient pratiquement sevrés de passe-temps, et personne n’aurait voulu manquer ce qui constituait l’une des rares distractions dans les villages : les séances de lutte Gréco-Romaine …

Photo de Léon Crémière

La lutte gréco-romaine

Dès la plus haute antiquité, les jeux olympiques attiraient à Athènes tous les quatre ans des centaines de milliers de spectateurs. Les vainqueurs des courses du marathon, des luttes étaient honorés comme des demi-dieux. Ces jeux se répandirent dans tous la bassin méditerranéen et l’occupation romaine en Provence allait propager notamment la lutte gréco-romaine.


La lutte gréco-romaine consistait – et consiste toujours – à opposer deux adversaires forts en muscle et en souplesse. Il n’y avait pas de limite de temps, et la combat se poursuivait jusqu’à ce qu’un des adversaires fasse toucher en même temps les deux épaules de son concurrent au sol. Pas de brutalités, pas de coups bas, mais des luttes d’une loyauté et d’un « fair-play » absolu.

Avec qui voulez-vous lutter ?

Article envoyé par Stéphane SCELLES

Dans les années 1850, la lutte était partout en honneur en Provence. Il n’y avait pas de fêtes locales sans tournoi de lutte.

A Lapalud on attendait l’évènement qui se déroulait pour la fête votive le premier dimanche d’Août, à l’ombre des platanes au quartier des Oriols (situé derrière les meubles Fabrol). Les platanes qui servaient à délimiter le ring s’y trouvent toujours.

Le sculpteur Charpentier a immortalisé les lutteurs et une de ses statues se trouve sur la place de la mairie à Bollène.

Des forains dressaient leurs tréteaux et leurs baraques, et, au son d’une musique entraînante, les lutteurs défiaient la foule :

« Avec qui voulez-vous lutter ? » criait le patron forain, tandis que de courageux ou téméraires spectateurs répondaient :

« Avec le rouquin !  »

« Contre le grand frisé ! »

ou bien encore

« Avec Thérésa de la Platu » Puisque à une certaine époque les femmes elles aussi participaient aux luttes.

Les enjeux étaient fixés, on jouait, on pariait, on pesait les chances des uns et des autres en comparant la taille, le poids, les biceps…

Le meunier de Lapalud.

La parade des lutteurs

Un jour la renommée apporta jusqu’à Lapalud, petit village provençal, les exploits du terrible Arpin. En ce temps-là, florissait à Lapalud un jeune Meunier célèbre dans toute la contrée par son habileté à jeter ses camarades sur les reins. Toutes les fois que Marseille (c’est le nom de notre meunier) rencontrait un ami, il ne manquait jamais de le prendre à bras-le-corps et: de le coucher dans la poussière De là le nom « d’infatigable lutteur » qui fut conféré d’une voix unanime au jeune meunier de Lapalud . Cependant Marseille ne pouvait se contenter de son auréole Départementale ; les lauriers d’Arpin l’empêchaient de dormir. Lutteur ambitieux et rusé, il voulait détrôner cette réputation jusque-là inébranlable.


Un beau matin, donc, tourmenté par ses rêves de victoire, il prit son bâton et se mit en route pour Paris, sans même jeter un regard en arrière sur son âne sur son moulin ou sur les jolies filles de Lapalud. Tous les grands hommes sont ainsi : ils quittent la vie calme et abritée pour aller au-devant de la mystérieuse toile qui brille pour eux seuls à travers les brumes de l’horizon.

Le défi !

Aussitôt qu’ARPIN sut qu’un rival était arrivé de la Provence, il se hâta de faire savoir au jeune présomptueux qu’il tenait 200 Francs à sa disposition s’il était vainqueur. Mais Marseille, repoussant l’offre d’Arpin, lui répondit qu’il donnerait 500 Francs à lui ou à tout autre qui parviendrait à le terrasser.


Etonnement et sourire chez Arpin, qui déclara à ses admirateurs « qu’au bout de cinq minutes, il serait l’heureux possesseur de 25 Louis ! »

On fixa un jour, et il y eut grand bruit dans la ville. Tous les amis de la lutte tous las membres du « Jockey-Club », tous les beaux jeunes gens heureux de voir combattre des hommes contre des hommes s’étaient réunis dans la salle Montesquieu. Des paris s’étaient engagés : ceux-ci tenaient pour la Savoie ceux-là pour la Provence … A dix heures précises, après quelques exercices préliminaires, Arpin paraît dans l’arène le regard fier et la tête haute. Des milliers de bravos accueillent le lutteur.

Arpin est un colosse : des bras vigoureux, solidement attachés à des épaules carrées, un torse d’Hercule, des jambes d’éléphant. Marseille, le Meunier de Lapalud, parait à son tour : c’est un jeune homme mince, nerveux et qui semble fluet auprès de son colossal adversaire.

Tout est enfin prêt. Les 2 rivaux se donnent la main, et le combat s’engage. Arpin saisit Marseille et le presse entre ses bras puissants. Mais le meunier glisse comme une anguille et se précipite de nouveau sur Arpin tout étonné de voir Marseille respirant encore. Ils s’attaquent, s’enlacent, sa tordent, se baissent, se relèvent . Des gouttes de sueur ruissellent sur le corps d’Arpin, tandis que le torse et les bras de Marseille semblent froids à l’oeil comme la peau d’un serpent. Toutes les poitrines battent, comme naguère encore la roue du moulin de Marseille . Il y a des heures qu’ils sont aux prises et la victoire n’est pas encore décidée.

Qui l’emportera ? Le Savoyard ? Le Provençal ?

Tout à coup un « Hourra! » retentit dans l’assemblée. Un des deux adversaires a roulé dans la poussière. Lequel ? Et bien c’est le vainqueur des vainqueurs, c’est le terrible Savoyard terrassé pour la première fois, c’est Arpin .

Ah! si vous l’aviez vu, ce victorieux des anciens jours, se relevant au milieu des bravos prodigués à son rival ! Tous ceux qui l’avaient applaudi depuis des années, portant alors Marseille en triomphe, semblaient je venger dans la victoire du nouveau venu, des anciennes victoires du grand vaincu. Une idole, Arpin, est tombée.

Une nouvelle idole, Marseille, la meunier de Lapalud arrive.

Un spectacle de haute philosophie pour les puissants de la Terre.

Eux aussi, ils se voient un jour, dédaigné par cette foule capricieuse qui la veille jetait des fleurs sur leur chemin.

Tel est l’article datant du 20 Mars 1853 nous a été communiqué par Mr Fernand BLACHERE.

Une troupe de lutteurs

Photo de Léon Crémière

Marseille emporta dès lors une série de succès et fut bientôt connu sous le nom de Marseille le Meunier de Lapalud. Il fit venir son jeune frère Jean Baptiste connu sous le nom de Marseille le Jeune, le Lion de Lapalud : . Ils engagèrent une troupe de lutteurs et créèrent des arènes de lutte. Puis ils luttèrent dans toute l’Europe. Vers la fin de leur vie, ils firent venir de Sorgues, Paul Pons qui devient en 1898 champion du monde.

C’est le photographe Léon Crémière qui les immortalisa en 1865

Mémoires à Lapalud

La tombe à Lapalud

Sur la tombe rénovée de notre lutteur, on peut lire :

« Ci-git Henri Marseille dit le Meunier de Lapalud, qui rendit célèbre son nom et celui de son village… » Il était donc tout à fait normal que l’on donnât le nom de « Route des frères Marseille » à l’ancienne Route de St Paul qui fut le lieu de leur résidence.